08 nov. 2017

Vous avez dit hip-hop?

Pendant longtemps au Sénégal, la connaissance, la créativité, la parole étaient l’apanage d’une élite bien encadrée issue de l’école coloniale puis du mouvement de la négritude d’Aimé Césaire et Léopold Sédar Senghor. Dans les années 80, le champ d’expression reste encore limité aux élites, aux politiciens, aux familles religieuses confrériques qui dirigent des millions de fervents sénégalais.

Le champ de contestation est encore réservé aux étudiants, aux opposants du parti majoritaire, aux syndicalistes et aux écrivains. Même la musique dite « locale » ne prend pas en charge le sentiment de la jeunesse, qui pourtant est bel et bien là et fait face à quelques dif cultés majeures. L’urbanité sauvage, le manque de structures pour accueillir le flux de l’exode rural vers la capitale économique n’inspire presque aucun élan subversif ou de chansonnette provocatrice.

Dans un pays où bientôt deux sénégalais sur trois sont jeunes, il est clair que l’accès à la parole, de gré ou de force s’impose. Pro tant de la vague planétaire du mouvement hip-hop, la jeunesse séné- galaise a su creuser le réceptacle de sa modernité, son urbanité, sa créativité, là où la parole a plus de liberté. Juste un lieu sans réelle censure que le contenu artistique soit exhaustif ou non. Plus tard, la jeunesse se réappropria les langues « locales » que ni la littérature, ni les sciences n’avaient jamais réussi à utiliser pour les peuples. Les jeunes y ont vu une manière de se décomplexer et de se libérer du joug de l’académie, des élites et des politiques qui ignoraient cette oralité qui après tout était leur identité première. L’oralité des leurs, leurs commu- nautés, leurs clans, leurs us et coutumes qu’ils n’ont pas eu le luxe d’échanger avec les arti ces de la « civilisation occidentale ». Le hip-hop était un outil de transition parfait pour créer, et grandir dans un univers plus démocratique. Puis avec les alliances avec le reste du monde, il n’était plus question de rêver depuis les rives du pays, d’autres alternatives de constructions étaient envisageables. Le monde des adultes était toute ouïe à présent et leur accordait le droit de participer aux débats sur les affaires de la cité.

A propos de Fatou Kandé

Fatou Kandé Senghor est une artiste et réalisatrice de lms documentaires,
de programmes et de ctions télévisés. Elle est aussi formatrice en vidéo auprès d’étudiants, et de jeunes en dif cultés d’apprentissage. Son lm documentaire intitulé Giving Birth (Donner Naissance), un portrait de l’énigmatique sculptrice casamançaise Seyni Awa Camara, a été présenté à la Biennale de Venise en 2015. Elle a publié plusieurs articles dans des revues sur les thématiques du genre, des cultures urbaines et du cinéma africain.

Kandé Senghor est la fondatrice de Waru Studio, un espace d’art où gravitent jeunes artistes, cinéastes et chercheurs a n d’explorer l’intersection entre l’art, les technologies et la politique en Afrique. En 2015, elle publie WALABOK une histoire orale du hip-hop au Sénegal chez Amalion Publishing. Il s’agit d’une anthologie qui se concentre sur deux générations d’artistes constitutives du mouvement hip-hop au Sénégal. Cette anthologie est aussi à la base d’un projet de série télévisée sur le thème de la jeunesse sénégalaise vue à travers l’évolution du hip-hop, ré échissant à la fois aux maux et aux aspects positifs de notre société.

La pratique artistique de Kandé Senghor combine photographie, lm, installation publique, écriture et recherche pour explorer des concepts intimes tels que l’identité, la communauté, la religion, l’histoire et la géographie. Sa passion première est de documenter les mutations sociales pour mieux révéler comment les textes dit sacrés, la poésie et les légendes de l’oralité donnent forme à la vie moderne. Kandé Senghor aime effacer la dichotomie entre héritages ancestraux et pratiques religieuses (islam, judaïsme et christia- nisme) a n de mettre au dé les attentes et les stéréotypes, ou de les complexi er. Elle vit et travaille à Thiès.

RAW MATERIAL COMPANY

CENTER FOR ART KNOWLEDGE AND SOCIETY

Sign up for our Newsletter

FOLLOW US: